« Action Coeur de Ville » ou « Ville à contre-coeur » ?

En décembre 2017, le Gouvernement annonce la mise en place d’un plan national d’envergure intitulé « Action Coeur de Ville ». Cinq milliards d’euros sont mobilisés sur cinq ans afin d’agir concrètement sur la revitalisation de centres de 222 villes moyennes. Par ce plan d’envergure, l’Etat reconnaît ainsi officiellement que des territoires ont été délaissés et souffrent.

Pour autant, la déshérence des centres- villes ne date pas de 2017. Vingt-huit ans plus tôt, le 31 décembre 1989, à travers la création du FISAC (Fonds d’intervention pour la sauvegarde de l’artisanat et du commerce), l’Etat, actant la fragilité des commerces de proximité liée au développement de la grande distribution à la périphérie des villes, cherchait déjà à enrayer la dévitalisation des centres-villes et la désertification de certains espaces ruraux.

En a-t-on tiré une quelconque leçon ?

La question est pertinente lorsque l’on sait que, entre 2010 et 2016, de nombreuses alertes ont été lancées sur l’augmentation croissante de boutiques fermées et des stores baissés. Des taux impressionnants de vacance commerciale ont été annoncés dans les villes moyennes. Agen, Aurillac, Avignon, Calais, Cholet, Le Havre, Lunéville, Thionville, par exemple, ont été pointées du doigt. Une fois encore, le constat était sans appel. « L’offensive délibérée de la grande distribution, en périphérie, tue les commerces du centre-ville et des quartiers anciens, et sacrifie les emplois de proximité. » – Olivier Razemon – Comment la France a tué ses villes – oct 2016 –

Aussi, quand « Action Coeur de Ville » est annoncé, s’agit-il, pour les villes moyennes, d’une réelle opportunité de projeter des jours meilleurs pour leurs centres. Tous les sujets qui touchent à l’aménagement de la ville sont concernés : logement, espaces publics, transports, activités et commerces, etc.

Des groupements de bureaux d’études spécialisés se mobilisent et proposent aux élus des stratégies à court, moyen et long terme en concertation avec les habitants et tous les acteurs identifiés.

Est-on enfin sur la bonne voie ? Il semble bien, au contraire, que ces actions ne suffisent pas.
En effet, une enquête toute récente des étudiants-journalistes du CUEJ de Strasbourg indique que 81 % des villes moyennes les plus touchées par la dévitalisation de leur centre-ville, donc bénéficiaires du dispositif « Action Coeur de Ville », voient dans le même temps se développer leurs zones commerciales périphériques. Des « villes à contre-coeur ? ».

Alors, combien de temps nous faudra-t-il pour comprendre qu’agir, c’est prendre des décisions, c’est être cohérent dans nos actions et nos choix. Il se trouve que la France est le marché le plus dynamique d’Europe en matière de centres commerciaux. Mais doit-on réellement s’en vanter ? Peut-on penser raisonnablement que ces centaines de milliers de m² supplémentaires de galeries marchandes qui voient le jour ne tuent pas dans l’oeuf les actions de revitalisation ? Ne se font-ils pas au détriment de la fréquentation et de la pérennité des commerces de centre-ville ?

La relance de nos commerces de proximité ne peut se faire sans prendre une position forte. Elle se doit d’être avant tout politique et portée par les élus en faveur d’actions ciblées géographiquement, coeur de ville ou périphérie. Mais pas les deux. Le portefeuille des consommateurs n’est pas extensible. Les modes de consommation et les comportements d’achat continuent d’évoluer en questionnant sans cesse le potentiel commercial de ces villes moyennes.

En continuant de créer de plus en plus de lieux de distribution distincts, en leur conférant une fonction de centralité, les décideurs locaux démultiplient l’offre. Or l’une des principales règles de commercialité est bien de ne pas affaiblir le centre par une multitude d’équipements ou boutiques périphériques.
Si le programme « Action Coeur de Ville » et très prochainement le programme « Petites Villes de Demain » sont au coeur de la relance, il apparaît suicidaire, voire irresponsable, d’autoriser en même temps les promoteurs de centres-commerciaux à construire des dizaines de milliers de m².

Quand les décideurs comprendront-ils qu’agir, c’est prendre des décisions en étant cohérent dans leurs actions et leurs choix ? Que voulons-nous vraiment ? Redynamiser les coeurs de ville ou continuer à développer les périphéries ? Faire les deux n’est pas possible.

Christine ALBA
Commerces et Marchés de France
Juin 2020

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